C’est une rencontre contrastée et lumineuse que propose l’historienne de l’art Imola Gebauer à la Galerie Agnès Szaboova : celle de deux regards séparés par des décennies, unis par une même quête : comprendre comment la lumière façonne le temps.
Un dialogue entre deux époques
D’un côté, Lucien Hervé, figure de la photographie moderniste, compagnon de route de Le Corbusier (rien que ça !), maître du noir et du blanc, du plein et du vide. Chez lui, l’architecture est un langage, un symbole, presque une spiritualité. Dans chaque cliché, la lumière découpe le réel comme un architecte trace la ligne parfaite.
De l’autre, Olivier Roche, photographe contemporain, arpenteur du bâti en mutation, témoin des chantiers et même des villes silencieuses pendant les confinements. Il fait entrer dans ses clichés : le temps, les traces, les métamorphoses.
Réunis sous le titre « Où la lumière dessine le temps », ces deux univers se font écho dans une même rigueur poétique.
L’architecture comme miroir du temps
Là où certains voient du béton, Messieurs Hervé et Roche, eux, voient du silence, de la mesure et de la lumière. Chez Lucien Hervé, chaque façade devient une abstraction : angles tranchants, ombres sculptées, cadrages en oblique, contrastes puissants, vides savamment découpés… Faire de la géométrie une émotion : telle est sa quête. On imagine presque Le Corbusier lui chuchotant sa célèbre définition : « L’architecture, c’est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière. » (Vers une architecture, 1923).
A ses côtés le temps d’une exposition, Olivier Roche explore un autre récit. Celui de l’architecture en devenir, du chantier, du provisoire, du bâti qui se cherche encore. Il photographie les structures comme on observe un corps : avec respect, patience, attention au moindre signe. Son travail sur la ville confinée, silencieuse, minérale, suspendue, rappelle que la lumière, quand tout s’arrête, devient une matière à part entière (et qu’un rayon de soleil peut parfois valoir tous les discours du monde).
Et parce que le dialogue autour de l’architecture ne se limite pas à la photographie, des sculptures viennent accompagner ces images, tout au long de l’exposition. Les œuvres de Sezny Peron utilisent l’ardoise comme matière principale : lamelles empilées et nuances infinies de noirs et de bleus défient elles aussi le temps . En écho, Yves Tilly travaille le bois encore vivant, qu’il entaille avant que la sève ne s’en aille. Il laisse la matière faire sa propre révolution : elle se tord, ondule,… « Je ne cherche pas à les guider », dit-il.
Le Havre, décor évident de cette rencontre
Difficile de rêver meilleur cadre que Le Havre pour accueillir ce dialogue entre modernité et matière, pas vrai ? Ville reconstruite, façonnée par la lumière et les lignes, la cité de Perret offre une résonance particulière à cette exposition. En toute objectivité de havraise, si la lumière avait une adresse, elle habiterait sûrement quelque part entre l’avenue Foch et la plage, faut pas se leurrer !
Notre impression ? On ressort de cette exposition un peu comme après un film en noir et blanc : les yeux plus attentifs à la texture du jour, à la ligne d’un immeuble, à la manière dont la lumière de 11h et celle de 17h transforment nos paysages. Et avec une envie irrépressible de dégainer notre Iphone pour tenter LA photo… avant d’admettre qu’il faut du génie pour ça !
Exposition : “Lucien Hervé X Olivier Roche — Où la lumière dessine le temps”
Jusqu’au 29 novembre 2025
Galerie Agnès Szaboova, 87 rue Émile Zola, Le Havre
Né en 1972 (peu avant la sortie du single It’s a Heartache interprétée par Bonnie Tyler, navrée pour la private joke…), Olivier Roche explore depuis plus de vingt ans : la construction, le paysage contemporain et la mémoire des formes.
Photographe havrais passionné par l’architecture, on lui doit notamment les photos du suivi du chantier de l’Espace Oscar Niemeyer, immortalisé dans l’ouvrage De béton et de lumière (2017).